Brève histoire de la miniature

En Occident, l'art de la miniature dérive de l'enluminure médiévale ; il lui emprunte son nom, puisque le terme de miniature semble provenir de minium, couleur rouge employée dans la décoration des manuscrits. Il n'est pas à exclure, en outre, que l'origine du terme puisse être trouvée dans le mot latin minus, "plus petit", d'où dériverait miniature, peinture de petites dimensions. Au XVIIe siècle, le mot s'orthographie "mignature" et Diderot y reconnaît la même racine que "mignard", délicat. La miniature avait fait son apparition au XVIe siècle, surtout utilisée pour des portraits, aisés à conserver et à transporter. Puis des artistes, parfois de première importance, de Holbein le Jeune à Fragonard, s'y consacrèrent, représentant des paysages, des scènes religieuses ou mythologiques et des scènes d'actualité. Elles participent aussi à la décoration, ornant bijoux, boîtes et autres bonbonnières et connaissent une période brillante dans le premier quart du XIXe siècle. Elles disparaîtront avec l'arrivée de la photographie.


Hans Holbein le Jeune, Jane Small, Victoria and Albert Museum London, Wikimedia Commons
Jane Small, portrait miniature, peinture à l'eau sur velin, Hans Holbein le Jeune, 1540. Victoria and Albert Museum, London. Sous licence publique via Wikimedia Commons.

Dans l'art islamique, on réserve le terme de miniature aux illustrations figurées et celui d'enluminure aux décors abstraits. Les premiers corans sont agrémentés d'enluminures d'inspiration classique ou orientale s'ajoutant aux lettres qui, elles-mêmes, deviennent de plus en plus décoratives. Les livres avec des illustrations figuratives apparaissent beaucoup plus tard ; les premiers livres de ce type sont essentiellement des traités scientifiques, la plupart du temps des traductions d'ouvrages grecs, dont les images ont surtout une fonction didactique. Au début du XIIIe, des miniatures narratives apparaissent au Proche-Orient. On peut y voir une tendance décorative, figée et stylisée, et une autre plus vive et d'un réalisme visuel plus marqué. Ces ouvrages n'ont que peu d'enluminures, qui restent l'apanage des manuscrits coraniques. C'est seulement vers la fin du XIVe siècle que miniatures et enluminures se conjuguent dans des manuscrits profanes d'un raffinement et d'une beauté extraordinaires. Les corans, eux, n'ont jamais cessé d'être richement décorés, mais ne furent jamais illustrés.Car si le Coran ne défend pas formellement les images (il se contente de mettre en garde contre les idoles et par conséquent contre une idolâtrie éventuelle du prophète ou des saints), la tradition contenue dans les hadith (communications orales du prophète) insiste sur l'interdiction faite à l'artiste de représenter la vie, le monde tel qu'il est, pour ne pas mimer le Créateur.


Manuscrit, Coran, Musée du Saint mausolée de Ma’soumeh, Qom, in La revue de Téhéran.
Manuscrit seldjoukide, Coran de l’école seldjoukide, XIIe-XIIIe siècles, Musée du Saint mausolée de Ma’soumeh, Qom, Iran. La Revue de Téhéran, mai 2013.

Konya, en Anatolie centrale, semble avoir possédé un atelier influencé par le monde turco-persan ; un autre se trouvait en Haute-Mésopotamie, peut-être à Mossoul, où ces influences paraissent plus diluées. De l'aire ayyoubide (dynastie qui régna de 1171 à 1341 en Égypte, en Syrie, au Yémen et une partie de l'Irak et de l'Arabie saoudite) proviennent des images marquées par des techniques et des motifs byzantins classiques. Les illustrations faites à Bagdad sont d'une fraîcheur, d'une vivacité et aussi d'une verve caricaturale inégalées. Elles évoquent une culture citadine et bourgeoise, dans laquelle l'aristocratie militaire turque apparaît sous un jour narquois.


Abdallah ibn al-Fadl, Le cabinet du médecin, in Kitab al-hashaish, in davidmus.dk.
Le cabinet du médecin, miniature tirée du Kitab al-hashaish, une traduction en langue arabe du traité sur la flore médicinale du grec Dioscorides. Miniature réalisée par Abdallah ibn al-Fadl en Iraq en 1224. Source : David Collection.

Sous les Ilkhanides (dynastie fondée en 1256 en Perse par le petit-fils de Gengis Khan), des ateliers sont créés dans l'empire, notamment à Tabriz. Les manuscrits narratifs sont ornés de miniatures et d'enluminures du plus pur style coranique. L'enluminure évolue vers une richesse toujours plus grande (une profusion de lapis-lazuli et d'or) et la miniature connaît une époque de grandeur sans précédent, où les anciens procédés stylistiques (absence de profondeur, quasi-absence de paysage) sont régénérés par les contacts avec la Chine. Beaucoup plus qu'une simple imitation de motifs chinois, c'est plutôt toute une conception de la narration qui se fait jour soudainement. Dans les manuscrits historiques de Rashid al-Din, vizir et savant d'origine juive à la cour des Ilkhans, la miniature est sobre et précise, elle privilégie le trait au détriment de la couleur, elle se veut explicative. Vers 1335, plusieurs manuscrits princiers ont été illustrés à Tabriz. La miniature devient le véhicule des sentiments, des tourments et des drames, l'univers entier participe aux déchaînements des passions et des états d'âme. Les couleurs réapparaissent, souvent lourdes et expressives, mais la finesse de trait de la première école ilkhanide demeure. Cette finesse est un acquis définitif, alors que toute charge émotionnelle sera abandonnée dès la fin du XIVe siècle.


Rachid Ad-Din, Hulagu en compagnie de la reine chrétienne Dokuz Kathun, in Histoire du Monde, Wikimedia Commons
Hulagu en compagnie de la reine chrétienne Dokuz Kathun par Rachid Ad-Din dans son Histoire du Monde, 14e siècle. Sous licence publique via Wikimedia Commons.

L'ère timouride (1369-1507) voit se développer à Boukhara et à Samarcande une longue tradition littéraire. Tamerlan avait déporté dans sa capitale Samarcande une partie des copistes et artistes de Bagdad. Ses premiers descendants apprécièrent tous vivement la peinture et la calligraphie. Pendant le règne d'Ulugh Beg (1409-1449), plusieurs manuscrits importants ont été commandés, parmi lesquels un traité astronomique d'Al-Soufi, le Livre des étoiles fixes (vers 1437), avec des représentations symboliques des constellations.


Al Soufi, Atlas astronomique, bibliothèque du monastère de Strahov, Wikimedia Commons
Atlas astronomique, Al Soufi. Milieu du XIVe siècle. Exposé à la bibliothèque du monastère de Strahov. Sous licence publique via Wikimedia Commons.

La fin de la dynastie, cependant, ne fut guère féconde et il faut attendre l'avènement en 1507 de la dynastie des Chaybanides pour assister au renouveau. Mécène, protecteur des arts et poète capable de composer en turc et en persan, Mohammad Shaybani entretient à la cour de Samarcande une bibliothèque importante. Mais c'est à Boukhara, dont il est originaire, qu'il installera sa capitale. Il y réunit les meilleurs artistes et calligraphes de son temps, tous originaires de Hérat, comme le calligraphe Mir Ali ou le peintre Sheikhzadeh, l'un des meilleurs élèves de Behzad, le grand maître de cette époque qui inspira un style de miniature persane qui restera une référence après sa mort.


Behzad, miniature, Wikimedia Commons
Une miniature de Behzad. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Le style boukhariote se prolongera jusqu'en 1575. Les miniatures sont souvent le fruit du travail collectif d'un atelier : un artiste est spécialisé dans les paysages ou l'architecture, un autre dans les personnages ou les animaux. Cette collaboration aboutit pourtant à la création d'œuvres d'une réelle homogénéité et d'une grande qualité artistique. La plupart des peintures ne sont pas signées. L'influence de l'école de Boukhara sera perceptible dans l'Inde de l'empereur Jahangir, lui-même grand admirateur de la miniature persane. Des miniatures s'en inspirant sont produites en abondance dans les ateliers du Cachemire tout au long du XVIIIe siècle et du XIXe siècle.


Mariage à Konigil, miniature du XVIe siècle, observatoire d'Ulugh Beg, Samarcande, © L. Gigout, 2012
Mariage à Konigil, miniature du XVIe siècle, observatoire d'Ulugh Beg à Samarcande.Photo 2012.

Moment de rendez-vous, miniature du XVe siècle, observatoire d'Ulugh Beg, Samarcande, © L. Gigout
Moment de rendez-vous, miniature du XVe siècle, observatoire d'Ulugh Beg à Samarcande. Photo 2012.

Amir Timur, miniature du XVIe siècle, observatoire d'Ulugh Beg, Samarcande, © L. Gigout, 2012
Amir Timur, miniature du XVIe siècle, observatoire d'Ulugh Beg à Samarcande.Photo 2012.

miniature du XVIe siècle, observatoire d'Ulugh Beg, Samarcande, © L. Gigout, 2012
Sans titre, miniature du XVIe siècle, observatoire d'Ulugh Beg à Samarcande. Photo 2012.



Sources
Encyclopédie Universalis :
Roseline Bacou, Miniature ;
Marianne Barrucand, Islam (La civilisation islamique) - L'art et l'architecture.
Wikipédia : Miniatures persanes.
Jean-Paul Roux, La miniature iranienne, un art figuratif en terre d'islam.

Sauf avis contraire, les photos sont de © Louis Gigout, 2012. 






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire